"Le mémorial qui précède comporte 141 notices concernant, de manière individualisée, 200 victimes brûlées, dont 168 sont précisément nommées; une trentaine d'autres, exécutées sur les mêmes bûchers, demeurent anonymes. Une soixantaine de Spirituels franciscains et de Béguins, de même que les 200 Cathares de Vérone, ne sont toujours pas identifiés. Ainsi au total, plus de 460 victimes sont évoquées ici, dont 168 nominativement.
Il convient de le rappeler, en respect de tant de souffrances demeurées anonymes, ces quelque cinq cents suppliciés ne sont qu'une faible partie des milliers de martyrs assassinés par la Chrétienté durant un peu plus d'un siècle. Toutes les silhouettes humaines esquisées dans les notices précédentes, et finissant sur le bûcher, sont pathétiques. Certaines, cependant, particulièrement itoyables, révèlent incontestablement, de la part des hommes d'Église, instruits et priviégiés, qui les condamnèrent á cette fin atroce, une degré de haine, de sadisme, et surtout d'inhumanité, qui ne saurait d'expliquer autrement que par une collusion délibérée avec la réalité du Mal.
Qu'il s'agisse de femmes éperdues se dissimulant comme des bêtes traquées dans la campagne, chasées avec les meutes réquisitionnées des châtelains, de vieillards inoffensifs emprisonnés depuis des décennies, de gens simples et d'artisans ignorants des dogmes, de malheureux brûles vifs en spectacles offerts aux princes du siècle ou de l'Église, de frères Mineurs montés sur le bûcher uniquement pour avoir voulu demeurer fidèles à la Règle de l'Ordre fondée par François d'Assise et approuvée par les Papes d'alors, tous ces crimes justifient les Cathares lorsqu'ils désignaient, dans la Mère de pareilles oeuvres, l'Église de Satan.
Vers 1970, le Chancelier d'Allemagne fédérale, Willy BRANDT (1913-1992), eut le courage et la noblesse d'aller s'agenouiller à l'entrée du Camp d'extermination d'Auschwitz pour reconnaître les crimes de son pays. Et pourtant, il en était personnellement innocent, car lui-même, opposant à l'Hitlerisme, avait dû s'expatrier, dès 1933, pour lutter contre cette horreur.
Alors que nous abordons le XXI siècle, l'Église catholique n'a jamais accompli le moindre geste pour reconnaître ses crimes et en demander humblement pardon. Pourtant, ses Papes -voyageurs, qui s'appliquent tellement à donner des spectacles publicitaires, devant des masses humaines curieuses ou naïvement attendries, en s'agenouillant sur les terres visitées et en baisant le sol, ne manqueraient pas de sites, de Vérone au Mont-Aimé, en passant per Béziers, Lavaur, Minerve ou Montségur, pour exprimer le "mea-culpa" de la Secte romaine. Bien au contraire, les écrivains catholiques stipendiés, les Dominicains de Fanjeux, Toulouse ou ailleurs, et tous les inconditionnels du passé monstrueux de l'Église, s'appliquent ouvertement ou, le plus souvent, insidieusement, à déformer l'image du Catharisme et à tenter de justifier, plus ou moins implicitement, le génocide qui parvint à l'éliminer socialement.
Certes, si l'Église reconnaissait -longuement organisés par ses Pontifes suprêmes et toute sa hiérarchie- les crimes qu'elle utilisa pour construire et développer sa puissance, sa prétention à être une institution exclusive d'origine et d'inspiration divines, s'écroulerait à la face du monde. Mais elle s'est déjà écroulée, et elle s'écroule toujours plus, dans les consciences de millions d'êtres humains qui ont suffisamment le sens de leur responsabilité pour examiner sérieusement l'histoire dont ils sont les héritiers.
Cependant, le refus de toute contrition officielle de la part de l'Église catholique montre qu'elle demeure une institution dangereuse, prête à réactiver sa tyrannie, dès lors qu'elle serait moins contenue par l'option laïque de la societé civile. Et d'ailleurs, accomplirait-elle aujourd'hui son "mea culpa", il serait sans aucune valeur, car beacoup trop tardif. Elle montrerait seulement, une fois de plus, qu'au lieu d'éclairer l'évolution de la conscience humaine, elle n'est qu'un gros et lourd parasite à sa remorque; indépendamment, bien sûr, de la valeur évangélique et morale de nombreuses personnes de bonne volonté qui se considèrent "à l'intérieur de l'Église."
(José Dupré, "Catharisme et Chrétienté. La pensée dualiste dans le destin de l'Europe.")
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